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Au Maroc  un jour  dans un petit taxi. L’atmosphère intenable est caractéristique d’une conduite en heure de pointe. Depuis la banquette arrière, une trentenaire BCBG fixe le compteur. Son regard se fait plus insistant à mesure que le véhicule s’enfonce, La jeune femme flaire l’arnaque. Certes, l’avenue est sens dessus dessous, mais elle n’en reste pas moins praticable. Le chauffeur ne chercherait donc qu’à gonfler une course déjà amortie par le premier client. Arrivée à destination, elle fait semblant d’ignorer le compteur et préfère s’enquérir verbalement du montant de la course, des fois que le chauffeur lui annoncerait un prix inférieur, aligné sur ce qu’elle paie d’habitude. Ce dernier lui annonce le prix tel qu’affiché, qu’elle paie la mine décomposée, avant de sortir et de claquer violemment la porte en grommelant “tfou âla k7al rass”, une insulte à laquelle il répond en beuglant “jiâana”, non sans postillonner sur son pare-brise. Cette scène est révélatrice d’un mal qui ronge les Marocains musulmans, celui du désamour de soi. Ils ne s’aiment pas et placent leur haine dans leurs concitoyens dès lors que la situation le permet. La cliente insulte le groupe ethnique auquel appartient le chauffeur et dont elle fait elle-même partie, et le chauffeur la traite de crevarde alors que c’est lui le voleur dans l’histoire, pour l’avoir escroquée en toute impunité. Les deux projettent l’un dans l’autre ce qu’ils n’osent pas se reprocher à eux-mêmes, bien qu’ils en soient conscients. Je ne t’aime pas parce que je ne m’aime pas “K7al rass”, “tfou âla blad”, “lmaghrib dima lor lor”… autant d’invectives qui ont pour dénominateur commun le Marocain.

Le Marocain musulman ne s’aime pas parce qu’il est marocain, et de fait, n’aime pas son semblable. Il projette sur l’autre son propre ressentiment car “la perception qu’il a de lui-même et de l’autre est dévalorisante. Ce qu’il n’aime pas chez lui, il ne peut pas l’aimer chez l’autre”, “Nous vivons dans une situation de marasme, On ne peut pas s’aimer lorsqu’on veut littéralement fuir son pays”. Pour lui, plus fort encore que la haine de soi, le Marocain musulman s’en veut de ne pas réussir à devenir meilleur. Il s’en veut de faire partie d’un système où l’enseignement est défaillant, où la corruption fait loi, où il n’a aucun référentiel d’identification. “L’amour de soi ne peut aller qu’avec le civisme et le respect”, “Quel est le pourcentage de la religion, de la modernité, du sexe dans l’identité plurielle du Marocain musulman? On ne connaît pas ce dosage”. Aussi, notre compatriote serait plus enclin à se focaliser sur la mauvaise réputation, vraie ou fausse, qu’il traîne à l’étranger, et compenserait par un patriotisme ostentatoire, artificiel et primaire. “Que veut dire fier d’être marocain ?”. Est-ce brandir le drapeau, applaudir les victoires des sportifs et saluer le succès des Marocains à l’étranger ? Trop superficiel pour être sincère, Et encore, nuance Harakat, on peut afficher ce semblant de fierté en disant : oui mais moi aussi, si j’étais à l’étranger, j’aurais pu faire pareil, au moins”.  Paradoxalement donc, le Marocain se dénigre et affiche sa sensibilité patriotique, à fleur de peau. “Le drapeau, ce vert et ce rouge sont peut-être le seul dénominateur commun qui nous reste et sur lequel on s’accorde, parce qu’on a le sentiment d’être perdus ailleurs”, “On ne peut être fiers de notre pays que s’il nous traite en tant que citoyen, quand l’État nous garantit ses services sociaux. Lorsqu’on voit qu’une minorité des prédateurs monopolise les richesses du pays, que l’élite politique se reproduit et reste au pouvoir, il n’y a pas de quoi être fier.

Le Marocain le sait et le vit au quotidien”. On préfère le blanc, s’il ne s’aime pas, le Marocain  montre l’étranger comme exemple, préfère l’Occidental au compatriote. Modèle suprême de la rectitude et de la convenance, les exemples de discrimination au profit de l’étranger ne manquent pas : du propriétaire qui préfère louer à des expatriés sous prétexte qu’ils seraient plus propres à l’hôtelier qui s’adresse au moins foncé d’un couple mixte, en passant par l’employeur prêt à payer le double à un candidat dont le patronyme est à consonance étrangère, ces pratiques sont monnaie courante dans le plus beau pays du monde ! “On préfère au Marocain un juif ou un chrétien, plus compétent et honnête. Il peut arriver qu’un Marocain musulman soit compétent mais ça ne suffit pas, on remarque que sa parole ne sera pas tenue, que sa ponctualité et son rendement ne sont pas garantis. On le constate dans l’administration publique, où des vestes attendent sagement sur des chaises leurs propriétaires absents. Ce n’est pas qu’une question d’honnêteté. Pour nos concitoyens, l’Occidental est le mètre-étalon du meilleur tout court. “Jiti b’hal chi nasrani” et “jiti marroki” sont les deux extrêmes de l’échelle de l’évaluation esthétique à la marocaine. Ne qualifie-t-on pas de “gawriya” une mentalité atteignant des sommets paroxystiques d’ouverture ? Cette auto dévalorisation serait une manifestation du complexe du colonisé. C’est leur fierté qui est mise en berne. Ils sont encore rattachés mentalement à celui qui est au nord. Ils ne l’aiment pas pour autant : il a beau être plus riche et plus moderne, l’Occidental n’est pas musulman, et le musulman est “forcément meilleur”, puisqu’il est dans la voie de l’occident, pour reprendre les termes d’un internaute marocain. Cette résurgence du protectorat serait plutôt une démonstration de sournoiserie sous couvert de génuflexions. C’est beaucoup plus complexe que ça.

Avec le temps, les Marocains se sont aussi rendu compte que les leaders de la religion musulmane des arnaqueurs. Ça va dans les deux sens, le Marocain sait que le commandeur des croyants l’exploite et fait de même aux autres. Il va même jusqu’à vendre son image comme étant quelqu’un de meilleur pour maximiser son profit, pour mettre en exergue le fossé entre ce qui est communiqué et ce qui est pensé. Il suffit de se promener dans n’importe quelle ville pour le constater : les touristes étrangers sont escroqués en toute impunité pour peu que leur faciès trahisse leurs origines. Les deux seules fois où je suis venu au Maroc, j’ai eu ma dose de taxis au tarif de nuit en plein jour et des garçons de cafés qui se servent tout seuls dans ma monnaie pour leur pourboire me raconte et témoigne une amie journaliste américaine. Quant aux comparaisons auxquelles se livrent les Marocains musulmans avec le monde arabe et le racisme manifeste envers les autres peuples d’Afrique, c’est une tout autre paire de manches. Par contre la méfiance est culturel, je ne fais même pas confiance à mon propre frère, et tu crois que je vais te prêter de l’argent ? Tu crois que je ne connais pas f3ayel lemgharba msalmine ?”. Voici comment Mohamed, 63 ans, clôt la conversation entamée quelques minutes plus tôt par son voisin, venu lui emprunter quelques centaines de dirhams pour régler ses factures d’eau et d’électricité. Ce bref échange est symptomatique des rapports sociaux au Maroc. Si le cliché du Marocain musulman serviable et hospitalier a bon dos, il traîne aussi une réputation de tricheur ou voyeur, indigne de confiance. Pour, la méfiance règne en morale : Comme toutes les corruptions sont possibles, le Marocain musulman vit sur ses gardes.

Tant qu’il ne coupe pas avec les mauvaises traditions, les survivances, le népotisme et le clientélisme, il aura toujours peur d’être volé, arnaqué, agressé, violenté, emprisonné, trahi, et agira en conséquence. Cette méfiance est une répercussion directe du “mépris sous-jacent de ceux qui sont injustement détenteurs de privilèges. En somme, une hogra inversée, dirigée contre ceux qui la pratiquent. C’est ce “sentiment de prédation autorisé et orchestré”, pour reprendre les mots de l’écrivain, qui pousse les Marocains musulmans  à ne pas se faire confiance, parce que conscients des vices de leurs semblables. “Entre Marocains, on se comprend, on se connaît par cœur. Dans le sens où je peux fermer les yeux sur une duperie, tout en sous-entendant à l’autre de ne pas exagérer, mat3ye9ch quoi”, affirme Rachid un juge,  Il ajoute : “Je sais que l’autre peut me faire un sale coup, tout comme je sais que, de toutes les façons, je pourrais en faire de même. Chacun ne cherche que son propre intérêt”. C’est ce que notre dramaturge appelle un “marché de dupes consentants” : aussi durs que soient les Marocains envers eux-mêmes, il y a un accommodement perpétuel, un marchandage quasi permanent dans les pratiques quotidiennes et sociales. On a souvent l’impression que les gens sont ouverts, blagueurs, qu’ils se lient rapidement d’amitié. Tout cela est artificiel, que derrière une façade d’ouverture, le Marocain musulman est constamment sur ses gardes, car comment voulez-vous que l’on fasse confiance à l’autre, si l’on n’a aucune confiance dans nos institutions ? Toutes les frustrations du Marocain viennent d’en haut. Même son de cloche “la base de confiance, c’est le régime marocain”, et que ce dernier n’honore pas son contrat. C’est comme si le sens du collectif n’existait pas. Le registre de l’individualisme est poussé à l’extrême, et nous avons l’impression de fonctionner en silos, plus qu’un manque de confiance ambiant, notre société souffrirait d’une violence sourde, épidermique, à la lisière du réel et à peine visible, qui fait irruption de temps en temps. L’auto dévaluation de nos concitoyens va souvent de pair avec un sentiment de fatalité. Des expressions telles que “les Marocains ne changeront jamais”, “on n’est bons qu’à râler”, “ghir khalliha 3allah” sont presque devenues des tics de langage. Comme si le peuple parlait d’une seule et même voix passive, conscient de ses maux et incapable de s’en dépêtrer, c’est parce que les gens ne se regardent pas en face et sont en fuite permanente. Nous serions donc dans le “règne de l’à peu près”, où l’approximation n’est plus une tare mais une espèce de norme hybride, celle du “ghir 3addi, sellek, 7na fel Maghrib” (comprenez, laisse courir, fais avec, nous sommes au Maroc).

 Si le Maroc jouit, cela ne joue pas dans l’imaginaire, au niveau de la sensibilité quotidienne du Marocain. Le Marocain n’a pas gagné grand-chose au niveau de l’estime de soi. Au contraire, elle a été accompagnée par une mauvaise instrumentalisation de la liberté. Une ouverture de façade, encore une fois, dans un pays rongé par la corruption et l’injustice. Lorsqu’on compare les chansons des années 1970 et celles d’aujourd’hui, on se rend compte que le malaise était politique et qu’il est aujourd’hui socio-économique, Si j’estime que le mal-être n’est pas simplement l’apanage des Marocains, je soutiens mordicus que l’on a plus de liberté pour s’exprimer, mais l’on vit toujours aussi mal au quotidien. Les Marocains sont en souffrance psychologique, il suffit de consulter l’enquête du ministère de la Santé sur la santé mentale, assure-t-il. On déprime, notre image de nous-mêmes est détériorée et, oui, nous sommes schizos : Pas dans le sens psychopathologique, mais nous souffrons clairement d’un dédoublement de la personnalité, Outre le tiraillement entre tradition modernité, il y a une envie d’aller de l’avant tout en prônant l’apathie. On voudrait que les choses changent sans y participer. On use et abuse de passe-droits quand on peut le faire. Nous sommes habitués à l’assistanat économique et mental, Une note d’espoir, cependant : Aujourd’hui, il y a encore la révolution de 20 février et le hirrak de Rif qui peut nous réveiller. Les Marocains, pendant 70 ans, ont, comme le roseau, plié sans rompre. Bien sûr, ça ne s’est pas passé sans heurts. Et là, un seul mot revient : dignité scandé au Maroc et dans tout le monde arabe lors de son printemps, devenu synonyme de liberté, cet appel à recouvrer la dignité est peut-être la première étape pour réussir à s’aimer soi-même. C’est être debout, avoir une colonne vertébrale, ne pas courber l’échine ou faire courbette pour obtenir un droit. C’est être un humain dans une cité qu’il construit, où il ne se sent pas subalterne au service de maîtres qui tiennent les lieux. Et de conclure : La radicalisation s’est accrue de façon catastrophique à cause de tableau sombre des droits de l’homme de régime tyrannique de roi Mohamed VI, qui s’en esclave le peuple. La dignité, c’est l’antithèse de la servitude. En attendant de s’aimer, on peut déjà aimer l’idée.

Par : Orilio Bahia

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